
L’enseignement spécialisé – 1970
Autrefois appelé « enseignement spécial » pour « handicapés », l’enseignement spécialisé est créé officiellement par la loi du 6 juillet 1970. Celle-ci réglemente les niveaux préscolaire, primaire et secondaire et permet pour la première fois aux enfants handicapés de remplir les conditions de l’obligation scolaire grâce à la mise en place d’établissements spécialisés. Sur l’échelle chronologique, presque 60 ans séparent la première loi sur l’obligation scolaire (1914) et la confirmation du principe pour les personnes handicapées. Bien que le débat sur l’instruction des enfants handicapés et leur reconnaissance comme personne à part entière se pose en Belgique dès le début XIXe siècle chez quelques commentateurs ou pédagogues d’avant-garde, il se poursuit toutefois en marge des concrétisations pédagogiques majeures s’exprimant au sein de l’école ordinaire. La loi sur l’obligation scolaire de mai 1914, si elle impose aux communes d’organiser des classes pour «enfants faiblement doués ou arriérés ou pour enfants anormaux», est limitée dans son application pratique aux établissements disposant de moyens importants et n’oblige paradoxalement pas les « anormaux scolaires » à s’instruire. En 1931, après de nombreux débats parlementaires, le droit à l’instruction est toutefois reconnu sur le plan légal aux débiles mentaux « éducables », c’est-à-dire aux enfants souffrant de retards ou de difficultés d’apprentissage légers. Dorénavant leurs frais de déplacement sont remboursés par l’État, mais la responsabilité incombant aux chefs de famille d’instruire leurs enfants handicapés demeurent d’ordre moral.
Alors que les premières écoles pour handicapés physiques – essentiellement des malentendants et aveugles – émergent au début du XXe siècle, il faut attendre la fin de la Seconde Guerre mondiale et la prise en considération des invalides de guerre pour que des mouvements sociétaux se développent dans plusieurs pays occidentaux en faveur de l’instruction des personnes handicapées. En Belgique, le système scolaire s’ouvre progressivement au cours des années 50’ et 60’ aux handicapés mentaux modérés et sévères sous la pression de certaines associations de parents militant pour la scolarisation des enfants atteints d’un handicap lourd. La direction de l’enseignement spécial est notamment créée en 1957 au sein du ministère de l’Instruction publique, tandis que les premières tentatives d’intégration des « anormaux mentaux » dans le système scolaire traditionnel sont expérimentées dès 1950. À partir des années 70’, des résolutions et des analyses émanant de l’O.N.U viennent confirmer les droits des personnes handicapées – notamment le droit à l’instruction ‑ et favorisent dès lors la mise en place d’un cadre légal en Belgique. Depuis, le système n’a cessé de s’affiner (précision des types de handicaps, formation de personnel spécialisé, etc.) et de s’adapter aux réalités vécues par les familles concernées par le handicap. Aujourd’hui, l’effort politique dans le domaine se concentre essentiellement sur l’intégration des enfants handicapés (décret du 3 mars 2004), tous types confondus, au sein du système scolaire ordinaire et sur leur préparation à l’exercice d’une activité professionnelle. Le processus n’en est toujours qu’aux prémices d’une véritable intégration qui signifierait idéalement la fermeture des établissements spécialisés. Enfin, l’enseignement spécialisé en Communauté française demeure très critiqué dans ses finalités émancipatrices. Portant depuis sa création une ambiguïté profonde dans le traitement de certains types « d’handicaps » (essentiellement, le handicap mental léger, les troubles du comportement et de l’apprentissage), il serait en Communauté française un outil de relégation sociale particulièrement puissant. En effet, comment expliquer que les effectifs de l’enseignement spécialisé ne cessent d’augmenter (selon une étude officielle datant de 2010, il y a eu en 15 ans, 25% d’augmentation dans l’enseignement fondamental et 20% dans le secondaire) alors que la population scolaire baisse d’une manière générale ? Les statistiques montrent une corrélation entre le niveau socioéconomique des élèves et leur scolarisation dans l’enseignement spécialisé. La sacralisation dans les milieux pédagogiques des travaux d’Alfred Binet et de Théodore Simon qui ont théorisé « l’anormalité » des enfants les plus défavorisés socialement et le manque de formation du corps professoral demeure encore aujourd’hui des freins au changement.