
L’école pluraliste – 1970
Au début des années 70’, à l’approche des premiers travaux de révision du Pacte scolaire prévus depuis la signature de l’accord en 1958, la Ligue accouche du premier grand projet de réforme issu du mouvement laïque : « l’école pluraliste ». Celui-ci se concrétise d’un point de vue théorique par la publication d’une Charte en avril 1973 synthétisant les idées maîtresses. Rapidement reprise par le monde politique, celle-ci imprègne les travaux de la Commission du Pacte scolaire lors de la deuxième révision du compromis politique (1973-1975). L’école pluraliste est dans l’esprit de ses concepteurs – principalement Arnould Clausse et Pierre Van Bergen – une doctrine absolue parce qu’elle refuse tout compromis dans son application. Cette nouvelle école se caractérise par des fondamentaux qui devaient assurer la crédibilité et l’efficacité du projet :
- La création d’un nouveau réseau d’enseignement devant supplanter les réseaux préexistants. C’est donc l’idée du réseau unique.
- Sa globalité. L’école pluraliste a pour ambition d’intégrer toutes les composantes de la société au sein d’un cadre commun afin de favoriser la mixité sociale, philosophique et sexuelle, de décloisonner la société et de permettre le dialogue intercommunautaire.
- Sa neutralité active. Point d’orgue du projet, le mélange des origines et des influences doit s’opérer dans un climat de tolérance réciproque et de libre confrontation des opinions et des idées. Tant du ressort des élèves que du corps enseignant. Elle conduit l’individu à reconnaître et à accepter la personnalité de l’autre en tant que différente de la sienne, l’autre étant considéré comme égal dans la différence. Le personnel de l’enseignement pluraliste, animé par ses convictions personnelles, doit toutefois impérativement se soumettre au projet global de l’école pluraliste. Les convictions personnelles ne peuvent dès lors s’exprimer que dans un carquois idéologique bien délimité qui oriente l’action éducative sur trois points fondamentaux définissant la neutralité active :a). L’action éducative doit amener les enfants à considérer l’égalité, la fraternité et la coopération comme des valeurs clés d’une société démocratique ;
b). Elle doit également établir un équilibre entre la recherche de l’épanouissement personnel de l’enfant et la promotion de l’action collective (considérée comme une recherche globale de solution à des problèmes sociétaux partagés et une participation effective des citoyens à la réalisation de la société) ;
c). Enfin, elle doit promouvoir l’esprit critique, le dialogue et la culture du débat.
Dans cette optique de neutralité active, la Charte maintient les cours de morale et de religion afin d’assurer le débat critique et de nourrir les opinions. Y est également ajoutée l’idée d’un cours d’éducation civique devant développer la compréhension et l’implication des élèves dans le projet pluraliste.
Son humanisme. La dimension éthique demeure la balise philosophique du projet. Éthique individuelle quand l’école pluraliste défend l’émancipation du plus grand nombre et la participation effective des individus à la société ; éthique sociale quand elle propose que l’école soit fondée sur la collaboration dynamique de tous au sein d’une communauté d’action et non sur les hiérarchies stéréotypées et immuables ; éthique philosophique lorsqu’elle se positionne contre tous les systèmes d’aliénation et de ségrégation.
Finalement, après de longs débats et une opposition franche et soutenue du P.S.C.-C.V.P., la loi établissant l’école pluraliste est votée le 16 juillet 1975. Cependant, le jeu politique a profondément modifié l’esprit du projet initial. Le réseau unique permettant la libre confrontation des idées s’est mué en un quatrième réseau d’enseignement. L’idée pluraliste avait fait long feu et l’opposition du pillier catholique (représenté par les évêques de Belgique, le Conseil Général de l’Enseignement Catholique et le P.S.C.-C.V.P.) retardera l’application de la loi jusqu’en 1984 ! La communautarisation de l’enseignement en 1989 signera quant à elle l’abandon définitif du projet pluraliste devenu moribond. Son esprit humaniste et son éthique se retrouveront toutefois dilués dans le décret du 31 mars 1994 définissant la neutralité de l’enseignement de la Communauté.
Illustration: affiche du CEDEP réalisée par Philippe Geluck