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La loi sur le travail des enfants

La loi sur le travail des enfants

(octobre 1842)

Témoignage d’une fillette de 11 ans : dans « les débuts de l’industrie », p. 43, Enquête de la commission des Mines  (1842) en France

 » Je travaille au fond de la mine depuis trois ans pour le compte de mon père. Il me faut descendre à la fosse à deux heures du matin et j’en remonte à une ou deux heures de l’après-midi. Je me couche à six heures du soir pour être capable de recommencer le lendemain. À l’endroit de la fosse où je travaille, le gisement est en pente raide. Avec mon fardeau, j’ai quatre pentes ou échelles à remonter, avant d’arriver à la galerie principale de la mine. Mon travail c’est de remplir quatre à cinq wagonnets de deux cents kilos chacun. J’ai vingt voyages à faire pour remplir les cinq wagonnets. Quand je n’y arrive pas, je reçois une raclée. Je suis bien contente quand le travail est fini, parce que ça m’éreinte complètement.  »

Pays d’avant-garde dans la course à l’industrialisation, la Belgique connaît de profondes modifications sociétales à l’aube du XIXe siècle. Si le travail des enfants au sein de la cellule familiale était une réalité préexistante à l’essor de l’industrie, son expression dans le nouveau cadre économique marque un changement radical dans leurs conditions de vie. Vus comme une manœuvre peu onéreuse, agile et docile par le patronat et comme une source de revenu complémentaire obligatoire par les familles, les enfants d’ouvriers intègrent de très nombreux secteurs économiques (petits ateliers, grande industrie charbonnière et du textile) et sont contraints à un régime de travail calqué sur celui des adultes (une moyenne de 12h par jour de travail dans des conditions précaires). En 1846, un ouvrier sur quatre a moins de 16 ans ! La prise de conscience du problème social (hygiène, abus sexuels, criminalité juvénile, misère urbaine) se fait progressivement au cours du XIXe siècle. D’abord dans le chef d’observateurs et d’enquêteurs sociaux, puis à partir de la seconde moitié du XIXe siècle au sein de mouvances politiques progressistes comme les libéraux radicaux, les socialistes et les démocrates-chrétiens. La limitation du travail des enfants est une revendication qui est alors bien connue entre 1840 et 1889. Le milieu industriel y est fermement opposé ; l’industrie charbonnière et du textile ayant fondé leur modèle de développement sur une manœuvre peu onéreuse et peu qualifiée. La majorité du monde politique se montre pendant longtemps, soit peu concerné par les problèmes sociaux des ouvriers, soit franchement hostile à toute idée de réglementation dans le domaine économique. De très nombreux sénateurs et députés – principalement issus des couches conservatrices et bourgeoises du parti libéral ‑ ont en effet des accointances plus ou moins marquées avec les milieux économiques. La plupart des grands industriels pensent quant à eux pouvoir concilier au sein de leur entreprise instruction et travail. À partir des années 1860′ et au fil des tensions sociales (troubles dans le Borinage, essor du mouvement ouvrier, commune de Paris, création de l’Association internationale des travailleurs, etc.), les points de vue sur la question se radicalisent. Certains industriels et acteurs du monde économique réclament progressivement que l’obligation scolaire et la limitation du travail des enfants soient avalisées pour prévenir les troubles ultérieurs ; d’autres s’y opposent avec encore plus de vigueur. La résistance conservatrice finira cependant par céder face à la multiplication des troubles sociaux et à l’essor du mouvement socialiste et social-chrétien à la fin du siècle. La loi du 31 décembre 1889, première intervention du législateur dans le domaine du temps de travail, interdit le travail des enfants de moins de 12 ans et limite la durée du travail des jeunes de 12 à 16 ans (21 ans pour les filles) à 12 heures par jour. Elle interdit également le travail de nuit pour les jeunes de moins de 16 ans et pour les filles de moins de 21 ans. Elle ne concerne toutefois que l’industrie lourde et les secteurs réputés dangereux. Le travail dans les champs et dans les petites entreprises familiales n’est pas concerné. Plusieurs lois viendront compléter cette dernière jusqu’au début de la Première Guerre mondiale. L’interdiction totale et tout secteur confondu du travail des enfants de moins de 14 ans, sera validée par la loi du 26 mai 1914 afin d’accompagner la loi sur l’obligation scolaire. Le travail des adolescents âgé entre 14 et 18 ans se maintiendra cependant pendant longtemps et sera progressivement repoussé grâce à la démocratisation de l’enseignement secondaire.

Illustration: Cristalleries du Val Saint Lambert, Seraing.
copyright: Collection Carhop