
1914 : la loi sur l’obligation scolaire
Enjeu démocratique et économique, le principe de l’obligation scolaire s’impose tardivement en Belgique par la loi du 19 mai 1914. À titre de comparaison, plus de trente ans séparent la loi française et belge en la matière ! L’écart s’explique historiquement d’une part par la persistance tout au long du XIXe siècle d’un important clivage philosophique/communautaire entre les « pilliers » fondateurs de l’État belge (catholiques et libéraux) sur de nombreuses questions de société (enseignement, santé, etc.) et d’autre part par l’opposition transparti entre partisans du principe du « laissez-faire » dans le domaine économique et les tenants d’une plus grande ingérence de l’État en la matière. Schématiquement, l’obligation scolaire fut combattue par les milieux catholiques, principalement car elle était associée à des revendications anticléricales, tandis que du côté des doctrinaires (la frange conservatrice du parti libéral) et des milieux économiques, elle était perçue comme une mesure nuisant gravement à la liberté d’entreprise, car elle conduisait à limiter le travail des enfants et donc à augmenter le coût de la manœuvre et l’implication de l’État dans la sphère économique. Dans le camp des partisans de l’obligation scolaire, on retrouve des acteurs très différents : des formations politiques comme les libéraux radicaux, les socialistes et les démocrates-chétiens ; des associations démocratiques, des pédagogues, des économistes, des observateurs sociaux, etc. La Ligue de l’enseignement, dans la droite lignée de la pensée radicale, milite quant à elle depuis sa création en 1864 pour l’imposition de l’obligation scolaire, la gratuité de l’enseignement et l’interdiction du travail juvénile.
Après d’intenses combats idéologiques, le verrou politique finit par sauter au début du XXe siècle devant la multiplication des troubles sociaux et l’émergence de nouvelles formations politiques favorables à la démocratisation de la société (socialistes, démocrates-chrétiens).
La loi du 19 mai 1914 qui fut portée par un cabinet catholique est le résultat d’un compromis politique ; là où les progressistes obtenaient enfin satisfaction vis-à-vis de leurs revendications démocratiques, les catholiques confirmaient en échange le principe de subvention de l’enseignement libre par l’État. Pratiquement, la loi fixe l’obligation de six à quatorze ans. L’obligation en elle-même ne repose pas sur les enfants, mais sur la responsabilité des chefs de famille. Le texte met également en place le 4e degré de l’enseignement, c’est-à-dire deux années payantes complémentaires aux six ans du cursus primaire, afin de préparer d’une part les enfants d’ouvrier à une formation technique supérieure et de l’autre pour leur permettre d’intégrer la société avec un bagage intellectuel minimum. Cette mesure augmente pratiquement la durée de l’instruction jusque 14 ans. Concernant la très grande majorité des enfants, la loi de 1914 ne prévoit que quatre situations pouvant mettre fin à l’obligation scolaire :
- si aucune école n’est accessible dans un rayon de quatre kilomètres
- si l’école pose des problèmes de conscience aux parents ou tuteurs
- si les parents ne disposent pas d’une résidence fixe
- si l’enfant est handicapé mental ou physique.
L’obligation scolaire a donc joué historiquement un rôle important dans la validation du principe du suffrage universel, car elle devait permettre idéalement à chaque adulte d’exercer son rôle de citoyen de manière objective. Elle ouvrit également la voie aux grandes politiques de démocratisation de la vie civile, entreprise après la Seconde Guerre mondiale en Belgique.
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